28 septembre 2011

Gestion du temps, priorités et marathon

La course à pied m’a forcée à améliorer énormément ma gestion du temps. Mon truc : accorder la priorité à ce que j’aime vraiment, et déléguer – voire délaisser – le reste. C’est en suivant cette philosophie que je réussis à concilier harmonieusement mes quatre grandes passions : mon travail, mes études, la course et les activités avec mon chien. Cela dit, même si je suis presque devenue une experte en la matière, je ne suis pas à l’abri de petites erreurs aux graves conséquences.

Laissez-moi vous conter l’histoire de mon deuxième marathon.

Après mon premier marathon, je n’étais pas extrêmement satisfaite de mon expérience. J’avais connu des pépins, je ne m’étais pas entraînée rigoureusement et je considérais que je n’avais pas vraiment montré de quoi j’étais capable. Pour le deuxième j’allais obtenir une bien meilleure performance, il n’y avait rien de plus sûr. J’allais suivre mon programme à la lettre et être vraiment fière de moi.

Mon coach m’a préparé un super programme que j’ai effectivement suivi à la lettre. J’ai eu une petite blessure à la mi-parcours qui m’a forcée à mettre la pédale douce pendant 4 ou 5 jours, mais c’est tout. Chaque semaine, je réussissais des entraînements de plus en plus difficiles, et je m’épatais constamment. J’ai vraiment connu une amélioration fulgurante. Je faisais en entraînement des demi-marathons plus rapides que ce que j’avais fait en compétition jusque-là. J’ai participé à une course de 20 km par temps extrêmement chaud et humide sur un parcours côteux et inégal et ai obtenu mon meilleur chrono à vie sur cette distance. J’ai aussi battu de 30 secondes mon meilleur temps au 5 km une journée où j’étais malade. J’ai même terminé, par la seule force de ma volonté,  un triathlon olympique qui a eu lieu la journée la plus chaude de l’été 2011, sur l’un des parcours les plus difficiles du Québec, malgré mon manque d’entraînement en vélo. Bref, j’ai eu un été du tonnerre, et mon entraînement se déroulait à merveille. Mon marathon était dans la poche, d’autant plus que ce serait en automne et que la température serait assurément plus fraîche que ce qu’on a connu cet été.

La semaine avant le marathon, je me suis assurée de ne pas avoir un horaire de travail trop chargé. Étant travailleuse autonome, j’ai cette liberté. J’ai même pris congé le vendredi. Je me suis couchée tôt toute la semaine. Je me suis alimentée de façon absolument exemplaire. Pour une fois, tout était parfait.

Puis s’est produite l’erreur.

Le jeudi, alors que j’avais terminé toutes mes traductions pour la semaine et que la pression était complètement redescendue sur le plan professionnel, un de mes clients m’a offert un mandat intéressant pour la semaine suivante. Un peu trop gros, mais peut-on se permettre de cracher sur les contrats lorsqu’on a une situation financière un peu précaire? J’allais me débrouiller. J’ai dit « oui ». Puis je me suis souvenue que j’avais aussi un travail à remettre dans le cadre de mon séminaire de maîtrise. Oups, ça ne fonctionnait pas. Mon horaire était trop plein. Il allait falloir que quelque chose saute. Ma maîtrise? Le contrat de traduction? Mon marathon?

Le contrat de traduction, c’était hors de question. Mon travail, c’est ce qui me permet de me payer le luxe de courir. Et il se trouve que je voyais mon marathon comme un gros bonbon pour enfant gâté. J’avais si hâte d’y participer! C’était comme aller à Walt Disney! Quelque chose d’aussi amusant ne peut pas être prioritaire. J’ai aussi songé à abandonner ma maîtrise, mais je n’ai pas pu m’y résoudre, car j’ai vraiment besoin d’aller plus loin sur le plan intellectuel et professionnel. La seule solution : travailler dimanche après-midi après mon marathon. Il allait donc falloir que mon marathon se passe vraiment bien et qu’il soit facile, car après un marathon ou un demi-marathon, je suis normalement incapable de travailler avant le lendemain. Mais je me sentais si en forme que je croyais que ce serait possible. Je n’en demeurais pas moins extrêmement angoissée par mon horaire impossible de la semaine à venir.

Le dimanche du marathon, quand j’ai vu le nuage de smog dégueulasse flotter au-dessus de Montréal et que je me suis mise à essayer de respirer l’air humide dans lequel il baignait, mon optimisme a commencé à fondre. L’humidité et moi, nous sommes les pires ennemis du monde. Je suis excellente dans le vent, sous la pluie et même sous le soleil brûlant quand il fait sec. Mais si c’est le moindrement humide, il a beau faire seulement 18 degrés, je suffoque au moindre effort.

Il va sans dire qu’un marathon, c’est un peu plus qu’un « moindre effort ». J’ai commencé à étouffer dès le 2e kilomètre environ. Je me disais « respire tranquillement », « détends-toi », « ça va bien », « le rythme est bon » (je me parlais tout haut là, et les gens autour devaient m'entendre...). Mais ça n’allait pas. J’ai alors tout de suite pris la décision de ralentir un peu pour me laisser une chance, sans succès. J’ai alors ralenti davantage. Guère mieux. Au 5e kilomètre, je me sentais déjà très fatiguée, mais je me disais que parfois, ça ne va pas bien au début, puis que ça s’améliore plus tard. J’étais pleine d’espoir. Au 14e kilomètre, il y avait mes parents, ma sœur, mon beau-frère et mes deux nièces. J’étais contente de les voir. Je me sentais déjà épuisée et j’avoue que je n’avais plus la tête au marathon. On était tout près de chez ma sœur, et j’avais juste envie d’aller chez elle, de prendre ma douche, de m’enrouler dans une couverte et d’écouter Sisi ou la Mélodie du bonheur en buvant un chocolat chaud genre. Il y a mieux comme état d’esprit quand on est en train de courir un marathon.

Mais bon, je ne suis pas une lâcheuse, et j’en avais vu d’autres des mauvaises compétitions. Aucun doute que j’allais passer à travers. Puis peu à peu, je me suis mise à penser à mon travail et à mon avenir. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais c'était la panique dans ma tête. La semaine qui m'attendait était impossible, et je ne pouvais surtout pas me permettre de déplaire, ne serait-ce qu'un peu à mes clients en bâclant le travail ou en ne respectant pas les échéances. Je respecte toujours les échéances et je remets toujours des traductions de la plus haute qualité. C'est ma marque de commerce. Enfin, je crois. Mais là, mon marathon allait si mal que si je continuais plus longtemps, j’allais être trop maganée pour travailler en après-midi et peut-être même aussi le lendemain. J'ai donc songé à abandonner ma maîtrise. J’en avais bien envie, car j’aurais ainsi pu m’éviter les présentations orales exigées, qui m'angoissent au plus haut point. Puis, je me suis dit que non. Pas question que j’abandonne ma maîtrise. C’est un rêve de longue date. Un gros défi que j’allais enfin réussir à relever.

Peu après, les nausées ont commencé. D’habitude elles se manifestent beaucoup plus tard, autour du 25e kilomètre quand ça va mal. Au 33e kilomètre quand ça va bien. Certainement pas au 18e kilomètre en tout cas. J’ai essayé très fort de ne pas vomir en me mettant à marcher. Mais ça n’allait pas mieux. Et je demeurais à bout de souffle. Et je n’avais plus le goût d’être là.

Bon. Ni mon corps, ni ma tête ne collaboraient. J’ai abandonné mon marathon autour du 19e km. Et j’ai marché jusqu’au 22e kilomètre, là où m’attendaient mes parents. Ils étaient soulagés que j’arrête, car ils voyaient bien que ça n’allait pas mon affaire cette journée-là. J’ai ressenti énormément d’euphorie quand j’ai arrêté. Quel soulagement! Toute cette pression qui tombait! J’allais pouvoir travailler en après-midi et même aller prendre une marche avec mon chien Oslo. Et je n’allais pas l’abandonner ma maîtrise. Tout se remettait en place.

En arrêtant ce marathon si tôt, j’avais l’impression de faire une folie et d’être une rebelle qui ne suit pas les règles. Ça m’a fait du bien ce sentiment de liberté.

J’étais heureuse de ne pas être une athlète d’élite qui doit absolument faire plaisir à ses commanditaires. Quand on fait du sport pour le plaisir, même si on s’entraîne très fort pour atteindre ses objectifs, on est libre. On est libre de faire ce qu’on aime et de tout arrêter quand le cœur n’y est plus. C’est formidable cette chance d’avoir le droit d’arrêter.

Cela dit, je n’en étais pas moins fort triste de voir me glisser entre les mains une course que j’avais préparée avec le plus grand soin. À mon premier marathon, j’avais commis une multitude d’erreurs qui ne m’avaient pourtant pas empêchée d’atteindre le fil d’arrivée. Cette année, une simple petite erreur de gestion du temps m’a causé tellement de stress que je n’ai même pas dépassé la mi-parcours.

Mais comme je le disais plus haut, bien gérer son temps pour moi, c’est accorder la priorité à ce qu’on aime. Continuer de courir un marathon en me sentant malade et misérable, ce n’est certainement pas quelque chose que j’aime. Ça ne m’aurait rien apporté de bon dans les circonstances. Ce dimanche matin, 25 septembre, je n’avais aucun plaisir à courir. Ce marathon n'avait plus aucun sens.

Avec le recul, je ne regrette pas le moindrement d’avoir abandonné au 22e kilomètre. J’ai très vite repris ma bonne humeur. J’ai pu recommencer l’entraînement deux jours plus tard (au lieu d’avoir à prendre dix jours de congé), et je me suis fixé de nouveaux objectifs sportifs qui me stimulent au plus haut point. Oui il y en aura d’autres marathons, et de très bons en plus! Pour le moment, j’avais simplement besoin de retomber sur mes pattes professionnellement et académiquement et de pouvoir m’occuper d’Oslo comme j’aime le faire.

Bien gérer son temps, c’est parfois tout simplement de garder l’équilibre et de cueillir le bonheur là où il se trouve.

7 septembre 2011

Affûtage

Il y a trois mois, je décidais de me relancer de nouveau dans l’aventure du marathon. C’est en lisant le compte rendu du marathon d’Ottawa de Véronique que j’ai soudainement retrouvé l’envie de courir de longues distances et de suivre un programme. Comme je voulais faire un bon marathon cette fois-ci (et non revivre la catastrophe du premier), j’ai fait appel à Jean-Pierre comme coach. Ce fut une des belles décisions de ma vie. Il m’a vraiment aidée à devenir plus forte, non seulement physiquement, mais aussi (et je dirais même surtout) mentalement. Il m’a amenée à me dépasser énormément. J’ai fait de nombreux entraînements que je croyais impossibles. J’ai travaillé très, très dur et je suis fière de moi. Merci beaucoup, Jean-Pierre.

Ces trois mois ont passé extrêmement rapidement et me voilà déjà au début de ma période d’affûtage. Mon meilleur entraînement, je l’ai fait le 28 août. J’ai couru 31 km, dont les 14 derniers à ma vitesse de demi-marathon. Et ça s’est passé à merveille. J’étais forte et confiante. Une semaine plus tard, soit dimanche dernier, je devais faire 33 km, dont les 21 derniers à ma vitesse de marathon, et ça n’a pas bien été du tout. J’étais épuisée dès le premier kilomètre au point où j’ai songé à laisser tomber l’entraînement ce jour-là et à le reprendre un autre jour. J'allais anormalement mal. Finalement, j’ai décidé de courir le plus longtemps possible quand même. Mais je me sentais de plus en plus bizarre. J’arrivais difficilement à maintenir ma vitesse d’endurance fondamentale, alors quand j’ai essayé d’accélérer pour atteindre mon pace marathon après le 12e km, j’ai rapidement épuisé le peu d’énergie qu’il me restait. Chaque pas était un supplice. Je n’avais pas plus mal que d’habitude, mais j’étais inhabituellement essoufflée, et je n’avais plus rien en dedans de moi. Ce n’était pas comme quand je fais des intervalles longs et difficiles et que j’ai du mal à continuer. Je suis capable de souffrir très longtemps en situation d’entraînement difficile. Là, je n’avais juste pas de ressources. J’avais des frissons même s’il faisait très chaud. Je me sentais malade carrément. J’ai continué de maintenir ma vitesse marathon malgré tout jusqu’au 25e kilomètre, puis mon corps a réagi violemment en expulsant tout ce que j’avais dans l’estomac. Déjà que j’avais de la misère à maintenir mon hydratation, c’était évident que c’en était fait du reste de mon entraînement à ce moment-là. D’essayer de courir après avoir vomi autant, ce n’était absolument pas raisonnable en contexte d’entraînement. J’ai donc arrêté ma montre, la mort dans l’âme, et j’ai fait demi-tour. J’étais à 8 km de l’auto. J’ai donc marché pendant environ 90 minutes. Mine de rien, ces 90 minutes de marche ont été extrêmement pénibles, mais je ne pouvais juste plus courir. Ce n’était pas une bonne journée pour un entraînement.

J’ai ruminé ce mauvais entraînement pendant 2 journées et demie. J’avais perdu tout espoir d’atteindre mes objectifs lors de mon marathon. Tous les excellents entraînements que j’ai enchaînés les uns après les autres au cours des trois derniers mois ne comptaient plus dans ma tête. Je me sentais comme la pire coureuse de l’univers. Comme une lâcheuse dépourvue de toute force mentale. J’avais très honte.

Heureusement, j’ai repris lentement le dessus et j’ai retrouvé ma motivation. En échangeant avec Jean-Pierre, on a convenu de ne pas reprendre cet entraînement et de commencer tout de suite la période d’affûtage. Je crois que c’est une excellente décision. Ce mauvais entraînement m’a insufflé la rage de me racheter et de courir un marathon du tonnerre. Si j’avais de nouveau essayé de courir un 33 km, je n’aurais pas pu le faire lentement et modérément. Mon besoin de prendre ma revanche et de me prouver que je suis une vraie coureuse et une vraie marathonienne aurait été trop fort. J’y aurais probablement laissé ma course. En commençant mon affûtage tout de suite, je refais le plein d’énergie physique, mais surtout le plein d’énergie mentale. Je fais de la visualisation presque constamment. Je me vois faire un excellent marathon et affronter n’importe quel obstacle avec calme détermination. Je me vois courir à la pluie ou sous le gros soleil. Je suis prête à tout. Je suis déterminée. Je suis une bombe qui ne demande qu’à exploser.
Je vais aller à l’extrême limite de mes capacités et je serai fière de mon marathon. Fière de moi.