23 août 2012

On veut un Québec fort? La solution pourrait bien résider dans l’habileté à discuter politique!


J’ai récemment eu la chance de participer à l’école d’été du CERIUM intitulée « Modèle scandinave : les outils du succès ». Si un élément est ressorti de l’ensemble des séminaires auxquels j’ai assisté, c’est bien le rôle primordial qu’ont joué les compétences civiques de la population dans les nombreuses réussites des pays scandinaves. La réforme de la santé suédoise s’est soldée par un grand succès? La gestion pétrolière de la Norvège suscite l’admiration du monde entier? La Finlande possède le meilleur système d’éducation au monde? Chaque fois, on en revenait au même constat : avant l’adoption des mesures qui ont donné d’excellents résultats, il y a eu d’intenses discussions populaires. Les mesures adoptées n’ont pas été « imposées par le haut », elles ont plutôt été acceptées par la population dans son ensemble avant d’être mises en œuvre. Que les citoyens des pays scandinaves s’intéressent aux questions sociales et politiques, qu’ils soient assez informés pour en débattre et qu’ils en arrivent à des consensus et à des actions concrètes a de quoi surprendre lorsqu’on adopte le point de vue nord-américain, même si c’est celui de la sociodémocrate belle province.

Au Québec, depuis deux ans, l’intérêt pour la politique semble aller croissant comme en témoignent divers mouvements populaires tels que « Occupons Montréal », les contestations contre l’exploitation du gaz de schiste et le « printemps érable ». Au cours des derniers jours, on a pu constater une grande effervescence autour de la campagne électorale provinciale et des débats entre les chefs de parti. Les gens discutent politique plus que jamais et confrontent leurs opinions. Excellent! Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud et canaliser toute cette belle énergie pour arriver à des résultats. Si je reproche une chose aux mouvements de contestations des deux dernières années, c’est qu’ils se sont faits sous le signe de la colère et qu’ils semblent s’être retournés contre de grands pans de la population. Le chaos, l’émotivité ont régné. On a insulté la « majorité silencieuse » au lieu de la séduire. Ça n’a pas donné de bons résultats. On a besoin de tout le monde pour réussir.

Vous voulez savoir pourquoi ça marche dans les pays scandinaves et pas ici? Tout passe par l’éducation, en particulier l’éducation des adultes. Là-bas, depuis la fin du 19e siècle, la population participe massivement à des « cercles d’études ». Ce sont des cours d’éducation des adultes sur des sujets très variés qui sont organisés dans toutes les communautés. Ces cercles d’étude peuvent porter sur des sujets très variés (p. ex., politique, langues, institutions syndicales, arts, jardinage, philosophie), mais ils tous le même objectif : amener les participants à acquérir des connaissances, et surtout, à former leur esprit critique, leur pensée indépendante et leur capacité à discuter. Les groupes sont petits, et chaque participant joue une part active dans le déroulement des séances. Le taux de participation à ces groupes est très élevé : en Suède, par exemple, environ 75 % des adultes avaient assisté à au moins un cercle d’études au cours de leur vie! Il est à noter que lorsque des événements majeurs se produisent dans la communauté ou dans le pays (comme des élections ou de grandes réformes), ces cercles d’études sont des endroits privilégiés pour la discussion. Toute la population est donc informée de ce qui se passe et est capable d’en discuter objectivement, de manière éclairée.

Un autre élément m’a surprise. Selon diverses études, la lecture des journaux est un facteur favorisant l’acquisition des compétences civiques, alors que la consommation télévisuelle est un facteur nuisant à l’acquisition des compétences civiques. Or les Scandinaves sont parmi les plus grands lecteurs de journaux du monde, et ils écoutent peu la télévision.  Au Québec, on lit au contraire peu les journaux (moins que dans le reste du Canada) et on note une forte dépendance télévisuelle (plus que dans le reste du Canada). C’est un signal d’alarme à ne pas ignorer, car « dans les pays où ce type de compétence est faible, les groupes économiquement défavorisés ont du mal à défendre leurs intérêts parce que la faiblesse de leur formation civique les exclut le plus souvent de la vie publique1 ». C’est peut-être ce qui explique qu’on entend beaucoup de colère, beaucoup de bruits de casseroles, mais vraiment pas assez d’arguments objectifs, solides et convaincants.

Mais pourquoi sont-elles si importantes les compétences civiques? Eh bien, elles amènent la population à faire les meilleurs choix politiques possible grâce à une bonne connaissance des enjeux. Et ces choix politiques optimaux entraînent systématiquement une amélioration des conditions socio-économiques en plus d’appuyer encore davantage le développement des compétences civiques. Selon les conclusions du rapport final de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (EIAA), « les sociétés démocratiques jouissant d’une distribution équitable des ressources intellectuelles jouissent également d’une répartition plus équitable des ressources matérielles2 ». Comme une société égalitaire est fortement associée à de bonnes performances pour de nombreux indicateurs économiques et sociaux, il va sans dire que la question du développement des compétences civiques et de l’éducation des adultes est cruciale.

Certains participants de l’École d’été du CÉRIUM sur les pays scandinaves l’ont exprimé : des séminaires comme ceux auxquels nous avons participé, laissant beaucoup de place aux interactions et aux discussions respectueuses, contribueraient à rehausser nettement le niveau de compétences civiques et permettraient sans doute aux Québécois de trouver des solutions novatrices et efficaces pour le Québec. Reste à savoir comment il serait possible d’organiser à vaste échelle des « cercles d’études » dans toutes les communautés du Québec. Mission impossible? Peut-être pas. Mais il faudrait agir maintenant. Il s’agit peut-être seulement de faire prendre conscience à tout le monde de l’importance de l’éducation des adultes. Il y a toutes sortes de cours qui se donnent dans toutes les communautés du Québec. L’important, c’est de pouvoir se regrouper et de discuter. Ce n’est pas si compliqué.

Chose certaine, ma participation à l’école d’été du CERIUM m’a amenée à modifier mes opinions politiques. Oh! Je suis encore plutôt de droite, mais j’accepte mieux les opinions politiques des autres. Je pense que nous souhaitons tous le bien du Québec et que nous avons avantage à collaborer plutôt qu’à nous affronter pour trouver les meilleures solutions possibles. J’ai eu de belles discussions avec des gens de toutes allégeances. Et je vois d’un meilleur œil les manifestations qui se sont produites ce printemps et cet été parce que je crois qu’elles sont le reflet d’un engagement politique très louable (quoique mal canalisé selon moi).

Pour ma part, j’ai décidé de m’inscrire à un groupe de réseautage dans ma communauté. Parce que je sais maintenant qu’un avenir radieux pour le Québec passe nécessairement par la formation continue et la discussion entre concitoyens. Les personnes bien formées sont capables de faire valoir leurs intérêts efficacement. C'est ce qu'il faut retenir je crois.


1- Milner, Henry (2004), « Chapitre 15 – Compétences Les défis du Canada et du Québec au XXIe siècle ». La compétence civique. Comment les citoyens informés contribuent au bon fonctionnement de la démocratie, Québec, Les Presses de l’Université Laval, p. 305.

2- Milner, Henry (2004), « Chapitre 1 – Usage et abus du capital social ». La compétence civique. Comment les citoyens informés contribuent au bon fonctionnement de la démocratie, Québec, Les Presses de l’Université Laval, p. 31.