Je suis traductrice
pigiste et maladivement anxieuse, deux états presque incompatibles. Depuis huit
ans, je suis à la fois très heureuse de travailler à mon compte et terrorisée à
l’idée de ne plus pouvoir vivre de ma profession un jour. J’élabore
continuellement des plans B « au cas où la traduction se mettrait à
ne plus exister ».
Depuis huit ans, je m’imagine
que chaque contrat que je reçois est mon dernier. Je suis d’autant plus
effrayée que j’ai bien connu la détresse professionnelle : j’ai passé mes
cinq premières années sur le marché de travail dans un état d’extrême angoisse.
Je pleurais tous les jours. J’avais une peur bleue de me rendre au travail. Mon
chum de l’époque me disait que je commençais à pleurer et à gigoter
nerveusement avant même de me réveiller. Et quand je me réveillais, décharge d’adrénaline
instantanée. Nonnnnnn! Je ne voulais pas y aller. J’étais physiothérapeute. Et
je pensais que c’était normal de se sentir comme ça au travail.
Heureusement, j’avais
eu l’idée d’aller étudier en traduction peu après le début de ma carrière de physiothérapeute.
C’était des cours du soir, à la Faculté de l’éducation permanente. Ma bouée de
sauvetage. J’ai mis tout mon cœur dans ces études-là. Ça me prenait des notes
du tonnerre. J’ai bien réussi : moyenne de 4.1/4.33 à la fin de mes deux
certificats en traduction. J’ai vite été embauchée dans une belle équipe de
traduction en entreprise. Je me souviens de ma première journée là-bas. Je me
sentais comme un poisson dans l’eau. Comme si j’avais toujours été traductrice.
Je me suis mise à respirer. Mon calvaire professionnel était
enfin terminé.
Après quatre ans en
entreprise, dont trois dans une société pharmaceutique, je me suis lancée à mon
compte. Je suis au comble du bonheur depuis ce temps. Je trouve que ma vie est
magnifique et je ne l’échangerais pas pour tout l’or du monde.
Et ça, c’est épeurant.
Quand on a la vie dont on rêvait, on dirait qu’on ne peut pas aller plus haut.
On peut juste tomber. Des fois, j’ai l’impression que je marche sur un fil de
fer très haut dans les airs et qu’il faut absolument que je regarde devant. Si
je regarde en bas, ça va me faire tomber. Et ce sera la catastrophe. Alors je
marche sur mon fil de fer depuis huit ans. J’ai toujours continué d’avancer et
je ne suis jamais tombée. Mais le danger est toujours là. Je suis toujours sur
mon fil de fer, sans harnais, sans filet.
Des fois, j’aimerais
me sentir moins en danger, alors j’essaie de me trouver des plans B. Pas
si facile.
- J’avais déjà pensé être journaliste, mais après une brève expérience comme recherchiste pigiste, je me suis découragée. J’avais peur des gens que je devais interviewer.
- Des fois, étrangement, je m’ennuie de marcher vite dans les corridors de l’hôpital, et même des contacts avec les patients. Alors je me dis que je pourrais redevenir physiothérapeute. Mais non. Impossible après les cinq années de calvaire que j’ai vécues dans cette profession. Rien n’indique que je serais plus à l’aise de travailler avec le public aujourd’hui.
- L’année dernière, j’ai même fait une demande d’admission en médecine. Ahahah! Mon dossier n’a finalement même pas été étudié parce que mes cours de chimie, de physique et de mathématique du cégep dataient de plus de huit ans. On me demandait de tout refaire. Euh non. Quand même pas.
- J’ai pensé à faire carrière dans le milieu canin. Mais je me suis rendu compte que, même si j’aime mes chiens, je veux vraiment que ça demeure un loisir. Travailler avec les chiens, c’est avant tout travailler avec le public, comme quand j’étais physio.
- J’ai été professeure de danse pendant genre deux mois à un moment donné. J’ai fait mes cours et mes examens pour devenir professeure, puis je n’ai pas aimé enseigner la danse alors j’ai arrêté.
- Il y a un plan B qui a un peu abouti cependant, celui de devenir rédactrice. J’ai de plus en plus de contrats de rédaction médicale. Peut-être que je pourrais continuer d’explorer les possibilités de ce côté.
Des fois je me dis
aussi qu’un jour j’écrirai un livre. C’était mon rêve quand j’avais quatre ans
de devenir écrivaine. Pour ça, il faut beaucoup de travail. Beaucoup de talent
aussi. Mais surtout beaucoup de travail tous les jours.
Je pense que c’était
un peu ce rêve secret que je tentais de concrétiser quand je me suis lancé le
défi d’écriture de 14 jours que je termine aujourd’hui. Je me disais qu’en
faisant l’effort d’écrire tous les jours, je me donnerais peut-être l’élan que
ça prend pour aller plus loin. J’espérais que ça allumerait une étincelle.
Mais ce défi était une
lame à double tranchant. Oui, j’ai dû faire l’effort d’écrire tous les jours, et
je suis fière d’y être parvenue. Mais je n’ai pas eu le temps de travailler mes
textes et d’obtenir des résultats vraiment concluants.
Là mon défi est fini
et je ne sais pas trop quoi faire.
J'ai 40 ans, et il me semble qu'il serait temps que j'accomplisse de quoi.
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